Bouteflika : l’étrange message à Al-Kadhafi

Le message envoyé par le président de la République à Mouammar Al-Kadhafi à l’occasion du 37e anniversaire de la Révolution du 1er septembre sonne étrangement comme un rappel des positions de principe de la Libye à l’égard du monde arabe, de l’Afrique et des peuples opprimés.

C’est un message long et sibyllin qu’a envoyé le Président au Guide libyen. Rarement, Abdelaziz Bouteflika aura été aussi disert. Outre les félicitations d’usage, tels ses voeux de progrès et de prospérité au peuple libyen, sous la “sage conduite” du Guide, les circonstances semblent obliger le Président à un rappel qu’il juge opportun, entre les lignes et sans ingérence. Les deux hommes se connaissant trop bien pour cela. “Je suis convaincu que le peuple libyen dont la foi n'a d'égal que son attachement de plus en plus fort aux valeurs arabes de générosité, de dignité et de nationalisme, saura atteindre ses objectifs et occuper la place que lui confèrent l'Histoire de sa longue lutte, l'héroïsme de ses dirigeants révolutionnaires et ses positions de principe indéfectibles en faveur des causes arabes et africaines, ainsi que des opprimés dans un monde caractérisé par les agressions et les défis”, précise le Président. En filigrane, Abdelaziz Bouteflika semble rappeler à Mouammar Al-Kadhafi ses engagements et les positions qu’il avait eu à défendre par le passé.
En soldant la réputation d’“État voyou” qui collait à la Jamahiriya, et son désir d’avoir une influence régionale, continentale et internationale considérable, le leader libyen a négocié un virage stratégique dans sa politique extérieure, basée jusque-là sur le panarabisme, la condamnation violente de “l’impérialisme occidental” et le soutien aux mouvements indépendantistes.
Un changement qui a signé la fin du rêve d’unité arabe auquel a tant appelé la Libye. Le désengagement quasi-immédiat de la cause arabe s’est transféré sur la construction africaine. Les “États-Unis d’Afrique” étant une formule consacrée de Mouammar Al-Kadhafi. Elle s’accompagne depuis peu par un appel à l’édification d’un État du “Grand-Sahara” à cheval sur sept pays. Ce qui n’avait pas manqué de hérisser les dirigeants des États concernés, Algérie comprise.
C’est compte tenu “du degré de fraternité, de coopération et de solidarité” atteint par l’Algérie et la Libye, mais également par les deux hommes, qu’il est “tout à fait naturel que nous partagions le même vœu de voir la justice et la paix régner dans notre monde”. Un monde, ajoute Bouteflika, où “la force est à la loi et duquel seront bannies à jamais l’injustice et l’hégémonie”. Les derniers développements sur la scène internationale ne sont pas étrangers à cette sortie. “Il est naturel par conséquent que nous partagions la même position en faveur des peuples opprimés”, souligne le Président.
L’agression israélienne au Liban n’est peut-être pas éloignée d’une phrase aussi nuancée.
La communauté internationale n’ayant pas eu droit cette fois-ci aux envolées légendaires de Mouammar Al-Kadhafi. Et ce, même si la Fondation Kadhafi pour le développement à mis en place des mesures pour venir en aide aux Libanais.
Le dossier iranien est également sur la table. Gregory Schulte, l'ambassadeur permanent des États-Unis auprès de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), en visite, mercredi, à Tripoli, a affirmé que la Libye a un rôle important à jouer pour assurer une solution diplomatique dans le dossier du nucléaire iranien. Washington et Tripoli déploient des efforts actuellement pour favoriser la coopération bilatérale dans le domaine de l'usage du nucléaire à des fins civiles. Il reste toutefois à connaître dans quelle mesure le leader libyen pourra réussir une telle approche avec les Iraniens.
La levée de l’embargo international, le règlement du dossier de Lockerbie et la déclaration libyenne de renoncement aux armes de destruction massive publiée fin 2003, ainsi que les tensions sur le marché international de l’énergie et les réserves pétrolières prouvées dans le désert libyen ont entraîné de facto un rapprochement avec les Américains.
L’épisode des cigarettes américaines brandies par Al-Kadhafi au Sommet arabe de Tunis et les propos qu’il avait tenus hantent encore la mémoire de certains dirigeants arabes. Ce sont autant de raisons qui font craindre le pire. “Les peuples vivants sont ceux qui puisent leur énergie des racines de leur passé et se développent grâce à leur génie et à leur capacité de travail. Des peuples dont la grandeur se mesure par le legs transmis aux générations futures et par la solidarité avec leurs voisins”, relève le chef de l’État.
Le leader libyen a préconisé, en signe d’apaisement populaire, hier, l'entrée des “pauvres” au capital des compagnies pétrolières publiques pour lutter contre la pauvreté en Libye. Ce qui sonnerait le début de la privatisation des entreprises pétrolières libyennes même si les modalités ne sont pas connues. Al-Kadhafi a également appelé les Libyens à se déployer en Afrique. Face à ces changements opportuns, le Président estime que les portes ne sont pas pour autant closes au progrès. “Même si nos peuples donnent par moments des signes de faiblesse, ils ne disparaîtront point car les potentialités finissent toujours par rejaillir pour faire de nos peuples une entité vigoureuse, résolument engagée sur la voie qu'elle s'est tracée, soutenue en cela par la force de la justice et les hautes valeurs morales, pour un monde où règnent sécurité, stabilité et prospérité.” Abdelaziz Bouteflika se dit même “optimiste” quant à l'avenir. “Je salue les efforts que vous n'avez cessé de consentir en faveur de l'Union africaine et de la redynamisation de l'action de notre Nation arabe pour l'intégration et l'unité. Ces efforts renforcent mon attachement à poursuivre avec vous l'action pour promouvoir nos liens séculaires de fraternité, de coopération et de solidarité en vue de répondre aux aspirations de nos deux peuples frères”, souligne le Président qui espère que les efforts seront “couronnés de succès” et les “pas guidés au mieux des intérêts des peuples arabe et africain”. Pour le moins, le message d’Abdelaziz Bouteflika est lourd de sens. Il ne peut être lu que sous le prisme des relations particulières entre les deux hommes.

Samar Smati
Liberte-algerie.com